articulations rythmiques pour danses de bals folks
Force est de constater que les pratiques instrumentales de bal folk se développent dans des styles musicaux multiples. Par voie de conséquence, l'interface musique/danse se retrouve en pleine évolution. Aujourd'hui, on observe un brassage des patrimoines entraînant une “re-création” inexorable de leurs identités.
Mon propos n'est pas d'ouvrir une polémique sur ces transformations ou ces mutations historiques ou encore factuelles.
Je souhaite, simplement, rappeler certains fondamentaux dans le rapport incontournable qui existe entre les mélodies et les inflexions rythmiques que la danse implique dans leur exécution. Ces répertoires sont construits sur un lien très étroit alliant mélodie (musique/rythme) et chorégraphie (danse/mouvement). Pour mieux comprendre l'importance de ces paramètres entre la musique et la danse il faut puiser dans les répertoires traditionnels régionaux où mélodies et mouvements y sont développés dans une même entité et une inter-dépendance. La pratique des différentes danses (avec leurs appuis/suspensions et leurs déplacements du corps dans l'espace) est une source d'informations indispensables pour ce qui concerne l'élaboration du discours mélodique afférent. Avec une telle démarche, nous sommes dans la traduction, physiquement perceptible, d'interpréter et de dépasser la notation musicale. La lecture d'une partition de musique de danse implique une connaissance des mouvements qu'elle sous-tend.
Avant tout, c'est une démarche de sensibilisation sur l'importance des ces appuis/suspensions caractéristiques à chacune des danses et de la prédominance de ces données dans sa traduction musicale. Ce document, qui n'est pas une compilation d'affirmations, se propose d'être un moyen de poser des pistes de travail nées de réflexions et de partage d'expériences qu'il vous faudra peaufiner sur le terrain.
Le “catalogue” de danses proposées ne saurait être exhautif et n'en a pas la vocation !!!
Avant l'étude rythmique plusieurs paramètres/définitions sont à considérer :
le rythme de l'air : c'est la distribution des différentes durées de notes à l'intérieur d'une mesure et sur toute l'étendue du morceau. La ligne mélodique et son écriture rythmique peuvent, déjà, être une indication quant à l'identification de la danse.
le tempo : c'est la vitesse à laquelle est joué un morceau.
la pulsation : c'est un phénomène rythmique fondamental consistant à répéter une cellule rythmique, effectuée par des battements de pied le plus fréquemment, et servant à découper le temps en unités égales.
le chiffrage de la mesure : l’écriture rythmique d’une mesure est binaire comme les polkas, les scottishs, les valses (division des temps par deux avec comme unité de temps la ronde, la blanche, la noire), ternaire comme certaines bourrées, certaines mazurkas, les jigs jouées pour des mixers et autres quadrilles (division des temps par trois avec comme unité de temps la noire pointée) ou encore asymétrique comme toutes les valses impaires, les zwiefacher (la mesure est composée de temps ternaires et binaires). Chaque mesure peut être composée de deux, trois ou quatre temps.
l'articulation rythmique : c'est l'organisation des appuis/suspensions particulière à chacune des danses. L'articulation doit, constamment, apparaître en filigrane sur la mélodie. Elle peut être répétée de façon organisée sur deux mesures (polka, an dro, etc...) ou sur quatre (scottish, mazurka, etc...)... Les appuis de la danse n'impliquent pas obligatoirement des accents sonores et les suspensions pourront être mélodiquement mises en relief pour en renforcer leur effet et leur place. Toute uniformité de jeu, toute linéarité dans l'interprétation neutralisera l'articulation et, conséquemment, le mouvement de la danse. Les principes d'articulations sont étroitement liés aux problèmes de notation de ce répertoire. L'articulation englobe appuis/suspensions et distribution des accentuations/liaisons (à opposer avec une exécution et une régularité mécanique).
Pour les instruments ayant un débit “linéaire”, comme les cornemuses par exemple, l'articulation rythmique va se traduire par des éléments pluri-fonctionnels avec l'utilisation de “piqués” ou “rappels” (qui se traduisent par le fait de revenir à la tonique du morceau ou la note du bourdon (qui peut être, aussi, le cinquième degré de cette tonique). On remarque notamment au début XXe que les joueurs de cabrette passent parfois par le sixième degré, ce qui apporte une couleur plus tonale avec un rappel d'harmonie. Il existe, aussi, des séries de piqués appelées picotage qui permettent de revenir à la fondamentale. Il en résulte un trait mélodico-rythmique qui prend la forme de variation mélodique (aspect esthétique) et une forme de relance et d'élan (dimension rythmique).
le style : c'est l'ensemble des traits distinctifs d'une aire géographique et qui introduisent les ingrédients d'une culture spécifique englobant l'organologie, les modes musicaux utilisés, les ornementations, etc... Ils caractérisent un mode de jeu instrumental propre à une région et/ou un musicien.
le phrasé : c'est une manière de conduire un discours musical en articulant les sons, en les unissant, en les accentuant ou en les nuançant, en les regroupant en ensembles cohérents tout en les enrichissant de respirations, de pauses. Le phrasé joue un rôle central dans l'expression. Il inclut le style mais laisse, largement, la place à l'interprète.
l'agogisme : c'est l'art de se libérer des contraintes rythmiques, tout en respectant la métrique. C'est une manière expressive de faire osciller légèrement la mise en place des figures rythmiques par rapport à une pulsation régulière. Cela se manifeste, dans le phrasé, par une inégalité des notes. L'agogisme est une dimension omniprésente dans ce type de répertoire qui engendre une marge d'indétermination dans le discours mélodique. C'est sur ce point qu'apparaissent des nuances tout autant que des difficultés d'interprétation binaire/ternaire, toujours impropres, quel qu'en soit le choix d'écriture. Une partition ne peut jamais restituer les modalités expressives (articulation, swing, intensité, timbre, phrasé...), l'écriture ne représentant dans ces styles qu'un aide-mémoire.
le tempérament : c'est une légère modification des intervalles d'une gamme occidentale. Dans une gamme dite “non tempérée”, certains de ces intervalles peuvent être plus ou moins grands que ceux réalisés dans une gamme tempérée. Certains écarts sont acoustiquement purs et font sonner les harmoniques alors que d'autres créent une espèce de tension, de dissonance qui en font les caractéristiques des tempéraments inégaux et qui leur apportent cette couleur singulière. la phrase musicale : c'est un repère spatio-temporel essentiel. Sa clarté mélodique est capitale pour les danseurs.
le bourdon caractéristique du système modal. C”est un son continu, généralement dans les graves, tenu pendant toute la durée du morceau. Il a une fonction de pédale de tonique. l'ornementation : c'est une décoration utilisée à des fins expressives. Chaque tradition musicale a son corpus d'ornementions qui apporte aux mélodies une des facettes d'un caractère régional. L'ornement se distingue par une ou plusieurs notes que l’on insère dans une ligne mélodique. Les embellissements aident à l'expression et ajoutent du relief aux articulations de la danse. Les ornementations recouvrent la double fonctionnalité d'articulation et d'embellissement.
le swing c'est une dimension impossible à noter. C’est, surtout, une manière de faire “vivre” le rythme qui détermine l'alternance d’une tension et d’une détente. La tension qui résulte de la succession des attaques et des intensités se manifeste par la qualité émotive de la musique et la détente par un balancement rythmique très particulier qu’il est presque impossible d’analyser. Le swing associe souplesse, rebond, vitalité, sensualité, privilégiant syncopes, inflexions, décalages rythmiques sans perdre la pulsation ni le tempo. Le swing sert, aussi, à colorer certains morceaux par l’usage de rythmes variés dont la plupart peuvent être déduits de la décomposition de la mesure. Il existe, en effet, différentes qualités de swing suivant que les accentuations sont portées sur tous les temps, ou juste sur les temps forts voire seulement sur les parties faibles des temps. Le swing doit être pratiqué sur un tempo ni trop vif ni trop lent afin d’assurer un bon équilibre rythmique à la phrase. Son expression doit toujours tenir compte de l’articulation et de la vitesse d’exécution. Les notions de swing varient suivant les styles. Il reflète le style ou la personnalité du violoniste. Il ne peut se traduire sur une partition. l'imprégnation : c'est une donnée incontournable pour aborder les styles musicaux. Dans tout apprentissage d'une culture, la démarche va nécessiter un mode opératoire actif quant à l'écoute (il ne s'agit plus, seulement, de jouer des notes mais de leur imprimer un caractère propre au répertoire abordé). Entamer un tel processus mimétique exigera beaucoup d'heures d'immersions, même passives (c'est à dire sans instrument), quant à une restitution d'un jeu, d'un phrasé, d'effets, voire d'intentions...
Toutes ces données interagissent et sont intimement liées. Chacun de ces domaines s'imbriquant de façon subtile, je vous suggère d'insister sur la mise en place des articulations avant d'y introduire une interprétation quelconque ou de “surfer” avec les accents.
Seules les constantes rythmico-mélodiques sont abordées. Ce résumé fait abstraction de la dimension culturelle propre à chacun des répertoires (domaine éminemment majeur à considérer, bien sûr, mais beaucoup trop vaste et spécialisé dans l'étude présente).
Tous ces fondamentaux sont indispensables pour qu'un morceau puisse être identifié à la danse à laquelle il correspond.
Je préconise de jouer, seule, l'articulation rythmique de la danse avant d'aborder le morceau, cela vous permettra de mieux sentir les appuis/suspensions lui correspondant.
Pour terminer, je voudrais mettre l'accent sur “l'intention” que vous donnerez aux morceaux et les répercussions qu'elle entraînera dans votre phrasé. Il me semble déterminant et impératif de jouer un air avec une conscience précise de la danse que vous allez proposer.
Nota bene : Il y a une distinction entre “danses traditionnelles” et “danses populaires”.
La valse, la scottish et la mazurka ne sont pas des danses traditionnelles. Ce sont des danses populaires qui ont été à la mode dans les milieux bourgeois du XIXe siècle et qui se sont popularisées puis diffusées dans les campagnes.
Ce que les ethnomusicologues ont appelé “danses traditionnelles” ce sont les danses typiques d'une région limitée, rurale de surcroît et où le groupe qui la pratique n'a qu'une référence. Le mode d'apprentissage passe par la transmission familiale ou par une pratique locale. Ce sont des danses dont on ne connaît pas les origines. Les mélodies portent souvent le nom de lieux ou de personnes où les danses ont été recueillies.
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